Blue Skies

Fan de blues je suis. Dans les insouciantes années de ma vingtaine, j’ai passé plusieurs soirées devant la scène Blues du Festival international de Jazz de Montréal. Ces soirées où l’heure n’importe plus, où le compteur de la gardienne n’est pas en marche puisqu’enfants à garder, il n’y a pas encore. Où on suit la foule, sans destination fixe, se laissant porter au gré des notes et des échos de toutes sortes. Quelques dollars en poche pour une ale un peu trop chère, qu’on boira à petites gorgées. Coup de blues ici.  Lire la suite

La fois du bois.

« R’garde ben mon p’tit boutte. R’garde au bout de mon doigt, le vois-tu? Faut pas bouger par exemple, sinon y va se sauver. Oooppps! Y a plongé! As-tu vu?!» Émoi, surprise, yeux ronds comme des 2 piasses.

Automne 2011. Mon père et mon aîné (qui a alors 3 ans) observent les castors qui ont élu domicile sur un des points d’eau des terres du paternel. Une lueur dans mes yeux en les regardant, je trouve fiston chanceux. Des souvenirs de bois, quelle richesse.

Petite fille de pourvoyeur, fille de chasseur, pêcheur et reboiseur notoire, la forêt, je l’ai dans le sang.

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Miss St-Michel

Retour dans un passé pas si lointain. Giboulée de février. Le travail m’amène dans le nord de l’île. Partie tôt pour éviter le gros du trafic, je n’ai pas pris le temps de déjeuner.

Mon chemin me mène au hasard devant un casse-croûte des plus typiques. Devanture affichant les articles au menu en lettres jaunes et rouges invitantes. Miss St- Michel me cruise.

Lumière crue, miroir tournant le dos au long comptoir de formica, tabourets. Étaient-ils pivotants? Mon imaginaire souhaite tant que oui. Je passe ma commande: deux oeufs tournés, pain blanc, bacon. «Ton bacon, tu le veux sec-sec-sec?» me demande la blonde dame, avec un clin d’oeil ayant l’air de dire: «C’est comme ça que je l’aime, moi aussi.» C’est la première fois qu’on me demande comment je veux mon bacon. Je jubile.

Accoudée au comptoir du Miss St-Michel, je regarderai Gigi – pour Ginette – s’activer tranquillement à la plaque. S’ensuivra une conversation simple et empathique. J’apprendrai que le 1er avril, après 22 ans, Gigi mettra la clef dans la porte de son établissement. Le proprio du local le reprend pour agrandir son restaurant à lui, à la porte voisine. Vingt-deux ans qu’elle fait du six jours semaine, Gigi. À se lever à 4 h 30, à aller elle-même faire ses achats chez le boucher, faire ses boulettes à burger, dégraisser son bacon, le précuire. Vingt-deux ans à servir des habitués dans un casse-croûte comme il ne s’en fait plus, véritable joyau d’une époque que je n’ai pas connue mais qui me fait envie. Vingt-deux ans aux fourneaux, derrière la caisse, à la vaisselle, au service. Seule employée. Miss St-Michel, c’est elle.

Entre deux bouchées du meilleur bacon que j’ai mangé de ma vie, mes yeux ne semblent pas assez grands pour tout avaler. Le menu Pepsi où s’affichent les plats du dîner et leur prix, les souvenirs au-dessus de la caisse, la plaque gravée offerte à Gigi par un groupe d’habitués, j’imagine.

 Un lieu clairement rempli de moments de partage de toutes sortes, d’humeurs, de vie. Combien de personnes seront endeuillées de leur passage quotidien au Miss St-Michel, une fois celui-ci fermé? Je n’ose pas y penser.

J’y retournerai avec mon aîné pour partager une frite et un cheese, et saluer Gigi une ultime fois avant la fermeture. Comment je fais pour vous retrouver, Gigi? «Oh, tout le monde me connaît!» m’avait-elle répondu, avec un sourire entendu.

Qu’allez-vous faire de tout ce temps? «Je vais commencer par prendre des vacances. Peut-être faire un voyage avec mon conjoint, qui est camionneur.»

Je ne sais pas où vous en êtes, Gigi. Sur la route comme copilote? À la barre d’un nouveau casse-croûte? Comment s’est passée cette dernière journée qui vous inquiétait tant? Je payerais cher mon ordre de bacon parfait pour vous entendre m’en jaser…

Une retraite plus tôt que prévue, un grand reste de vie à meubler d’autre chose. Un remodelage des habitudes. Je vous espère sereine dans ce passage obligé. Et je vous envie un peu ces grands murs blancs à couvrir de couleurs nouvelles. Bonne route, Miss St-Michel. À la revoyure, Gigi!

Texte publié dans le magazine Coup de Pouce de juin 2013