Récit d’une rentrée annoncée

Au moment où vous lirez ces lignes, imaginez-moi ampoules aux doigts d’avoir étiqueté un à un 48 crayons de couleur. Cernée par des anxiétés nocturnes telles: Ai-je bien fait d’acheter la boîte à lunch des Bagnoles? (Elle sera sans doute passée de mode d’ici Noël.) Peut-être aurais-je dû investir dans un sac écolo-recyclable-lavable de couleur neutre pour éviter les moqueries? Ai-je bien identifié les quatre paires d’espadrilles requises? Une pour la gym, une pour la classe, une autre pour les jours de crachin et la quatrième en cas… (J’exagère à peine sur le nombre.)

Oui, mon «grand» entre à la maternelle. Lot d’angoisse compris. De ma part, pas de la sienne. Déjà qu’il n’aura pas encore cinq ans le jour de la rentrée, qu’il est plutôt de petit format, je le vois, menu escargot portant au dos sa coquille d’apprentissage fournie de ciseaux et de bâtons de colle pendant que je renifle d’émotion derrière lui, cachant mon trouble derrière mes lunettes noires.

D’un naturel je dirais… prudent, il n’est pas particulièrement friand des envolées physiques. Un ballon envoyé sur le front par un camarade inattentif le fera invariablement chigner. Il craint le sang, le coeur sur la flotte à la moindre odeur douteuse. Sage et consciencieux, il sera cependant un bon élève, à n’en point douter. Petit poète qui s’émerveille d’une fourmi transportant son butin au lieu de l’écrabouiller sans pitié chaussé d’une de ses quatre paires d’espadrilles (pas celles de la gym, bien sûr), sera-t-il le chouchou du prof? Arrivera-t-il à se faire des amis? Sera-t-il celui qui sait toujours tout et que ça nous tape donc sur les nerfs?

Je sais bien qu’il ne s’agit ici que de la maternelle et je dois arrêter de m’en faire parce que tous finissent par se sortir assez bien de cette période de points reliés par des traits et de bricolages en macaronis. Mais c’est comme si, à travers la première rentrée de mon fiston, je revivais la mienne. Vêtue d’une robe neuve et d’un lainage blanc, avec en bandoulière un sac de toile rouge, accroché au cou mon identifiant collé sur un carton en forme de tulipe, avec mon voisin Pascal, j’attendais un autobus scolaire jaune qui n’est jamais venu. Beau départ. Première journée d’école, premier retard. Déjà un décalage, un «pas pareil». La différence qui fait qu’on te remarque alors que tu voudrais donc être effacée comme le nom de ta prof au tableau parce que ce n’est pas elle que tu souhaitais avoir. N’y voyant à l’époque d’autre signification que celle d’avoir été oubliée (quand même!), je me dis aujourd’hui qu’il devait bien y avoir là une signification x, un rapport y avec le fait que… que je… qu’il faille que… Oh! et puis rien. Le bus n’est pas passé, that’s it.

Ce qu’il y a de bien pour la rentrée de fiston, c’est qu’on va à l’école de quartier à pied. Voilà déjà un départ rassurant, non? Ce qui fait qu’à moins que je m’enfarge dans une des quatre paires d’espadrilles dans l’entrée, que je me casse royalement la gueule et que je ne puisse me rendre à l’école à temps, occupée à essayer de retracer mes dents perdues dans un bain de sang pendant que mon fils tourne de l’oeil dans son beau chandail neuf, tout risque de bien se passer.

Je survivrai à la rentrée.

 

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Ce texte a été publié dans le magazine Coup de Pouce d’août 2013

Divine Inspiration

 

Écrire. Geste digne parmi plusieurs, expérience d’une rare félicité quand on arrive à enligner phonèmes et sonorités dans l’ordre qui créée une harmonie parfaite. Écrire, peut relever de l’exploit. De l’athlétisme du verbe, du macramé vocabulaire. Mais encore faut-il qu’on soit inspiré…

Chose étonnante, l’inspiration peut vous happer à tout moment. Il faut alors saisir la balle au bond, la rosée au petit matin, encore fraiche.

Pour moi, c’est la nuit que ça se passe. Impossible alors de me rendormir sans avoir couché sur papier le fruit créateur du hamster de mon esprit qui grignote les précieuses minutes de mon sommeil avec ses idées d’auteur à la gomme. Un calepin près du lit? J’y ai songé. Mais la lumière dont j’ai besoin pour guider ma plume risquerait de tirer chéri de son sommeil ronfleur. Voyez quelle amoureuse dévouée et soucieuse je fais?

Un dictaphone? Pensé à ça. Mais le son rocailleux de ma voix à 3h du matin; maman allaitante du bambin aux fringales nocturnes et gestionnaire de cauchemars de l’aîné, aurait tôt fait d’effrayer le fameux hamster de l’inspiration qui fuirait alors sans demander son reste. Et c’est bien connu, il faut se méfier du hamster qui dort où est-ce l’eau qui fuit? Peu importe. Je m’égare. Il est tard.

Me répéter ladite phrase (digne du Nobel de littérature of course) comme un mantra, pour être certaine de ne pas l’oublier jusqu’à ce que folie s’ensuive? Pas essayé. Pas assez folle encore.

Me reste l’ordi. Au rez-de-chaussée. Dure entreprise. Bondir hors du lit telle une gazelle fuyant le danger (…) Oui bon, un peu forte celle-là je vous l’accorde. Bondir, bondir… s’extirper à contre coeur des draps tièdes serait plus juste. Faire s’allumer la veilleuse de l’escalier au passage, en prenant soin de ne pas rater une marche ni de s’éclater l’orteil sur le camion de pompier qui a oublié d’entrer à la caserne. Une fois de plus. Sanction il y aura.

Passer une « petite laine » par temps plus frais. Bailler entre chaque touche. Faire vite pour ne pas laisser filer le filon! Profiter de la luminothérapie de l’écran sur son visage (au moins ça de bon) et pondre, à l’heure des poules, un texte avant qu’il ne s’envole ou que le coq chante trois fois.

Assez fascinant tout de même cet esprit qui s’accroche à une phrase et ne se laissera pas replonger dans le sommeil tant et aussi longtemps qu’elle n’aura pas été figée sur l’écran ou le papier. Imaginez le nombre de chansons perdues entre deux rêves.

Encore plus fascinante cette inspiration qui survient sans avertir à toute heure du jour ou de la nuit. Parlez moi de ça une fonction cérébrale et créative qui est toujours en alerte! Pas de repos qui tienne. C’est de la vigueur ça madame! Lectrice, sache que la création littéraire que tu as sous les yeux est le fruit d’un élan d’inspiration nocturne. De la haute voltige insomniaque. Quelqu’un a dit qu’ils s’amusent. Au diable la fiesta, moi je retourne me coucher. Inspiration, fais donc pareil s’il te plaît.

 

Texte publié dans  le magazine Coup de pouce

Miss St-Michel

Retour dans un passé pas si lointain. Giboulée de février. Le travail m’amène dans le nord de l’île. Partie tôt pour éviter le gros du trafic, je n’ai pas pris le temps de déjeuner.

Mon chemin me mène au hasard devant un casse-croûte des plus typiques. Devanture affichant les articles au menu en lettres jaunes et rouges invitantes. Miss St- Michel me cruise.

Lumière crue, miroir tournant le dos au long comptoir de formica, tabourets. Étaient-ils pivotants? Mon imaginaire souhaite tant que oui. Je passe ma commande: deux oeufs tournés, pain blanc, bacon. «Ton bacon, tu le veux sec-sec-sec?» me demande la blonde dame, avec un clin d’oeil ayant l’air de dire: «C’est comme ça que je l’aime, moi aussi.» C’est la première fois qu’on me demande comment je veux mon bacon. Je jubile.

Accoudée au comptoir du Miss St-Michel, je regarderai Gigi – pour Ginette – s’activer tranquillement à la plaque. S’ensuivra une conversation simple et empathique. J’apprendrai que le 1er avril, après 22 ans, Gigi mettra la clef dans la porte de son établissement. Le proprio du local le reprend pour agrandir son restaurant à lui, à la porte voisine. Vingt-deux ans qu’elle fait du six jours semaine, Gigi. À se lever à 4 h 30, à aller elle-même faire ses achats chez le boucher, faire ses boulettes à burger, dégraisser son bacon, le précuire. Vingt-deux ans à servir des habitués dans un casse-croûte comme il ne s’en fait plus, véritable joyau d’une époque que je n’ai pas connue mais qui me fait envie. Vingt-deux ans aux fourneaux, derrière la caisse, à la vaisselle, au service. Seule employée. Miss St-Michel, c’est elle.

Entre deux bouchées du meilleur bacon que j’ai mangé de ma vie, mes yeux ne semblent pas assez grands pour tout avaler. Le menu Pepsi où s’affichent les plats du dîner et leur prix, les souvenirs au-dessus de la caisse, la plaque gravée offerte à Gigi par un groupe d’habitués, j’imagine.

 Un lieu clairement rempli de moments de partage de toutes sortes, d’humeurs, de vie. Combien de personnes seront endeuillées de leur passage quotidien au Miss St-Michel, une fois celui-ci fermé? Je n’ose pas y penser.

J’y retournerai avec mon aîné pour partager une frite et un cheese, et saluer Gigi une ultime fois avant la fermeture. Comment je fais pour vous retrouver, Gigi? «Oh, tout le monde me connaît!» m’avait-elle répondu, avec un sourire entendu.

Qu’allez-vous faire de tout ce temps? «Je vais commencer par prendre des vacances. Peut-être faire un voyage avec mon conjoint, qui est camionneur.»

Je ne sais pas où vous en êtes, Gigi. Sur la route comme copilote? À la barre d’un nouveau casse-croûte? Comment s’est passée cette dernière journée qui vous inquiétait tant? Je payerais cher mon ordre de bacon parfait pour vous entendre m’en jaser…

Une retraite plus tôt que prévue, un grand reste de vie à meubler d’autre chose. Un remodelage des habitudes. Je vous espère sereine dans ce passage obligé. Et je vous envie un peu ces grands murs blancs à couvrir de couleurs nouvelles. Bonne route, Miss St-Michel. À la revoyure, Gigi!

Texte publié dans le magazine Coup de Pouce de juin 2013

Chronique printanière

Mai. Enfin le printemps qui prend pleinement ses droits. Si avril leste les liens tissés durant la froidure, mai les dénoue entièrement, libérant enfin les bourgeons, faisant éclater les bulbes pour que s’élèvent les corolles colorées des tulipes.

Si avril laisse encore la terre engourdie se réveiller sans la brusquer, le chaud soleil de mai fouette les ardeurs de tout un chacun. Et à grands coups de portes de garage ouvertes, l’inventaire se fait, promesses de samedis à chasser les trésors dans les ventes de débarras. On astique la moto par-ci, on regonfle les pneus des montures à deux roues par-là.

Mai est là enfin, mois de tous les possibles. Printemps salutaire et guérisseur. Mai. Synonyme de virées à la pépinière. Héritage horticole de ma mère. Le temps s’arrête, le coeur aussi de battre devant ce petit plant de campanule des Carpates qui aura tôt fait de jouer du coude pour se frayer une place dans la plate-bande déjà bien garnie. Retrouver ses gants qui craquent sous la boue séchée. Les genoux humides dans la terre. Faire dévier les lombrics de leur ondulant voyage, les ongles crasseux, bénéfices du sol qui nous vitamine. Jardinage salvateur qui courbature le dos, mais oxygène l’esprit.

Au détour d’une promenade en rutilant tricycle, nous apporterons aux voisines, mes jardiniers en herbe et moi, des petits plants séparés de leur mère: hostas, sédums, hémérocalles. Nous reviendrons les bras chargés de trésors: échinacées rouges, spirées, lupins violets… Ma rue comme zone de libre-échange botanique.

Parfois, une jasette avec ma voisine Sylvie s’étire jusqu’à l’heure de l’apéro. Mai, c’est le retour des p’tits blancs au frigo. Comme des scouts, toujours prêts. Ma rue comme zone de libre-échange vinicole.

Mai. C’est le barbecue – et son cook! – qui reprennent leurs droits.Farewell la mijoteuse, hello les marinades et les légumes grillés.

Mai, c’est étirer l’après-midi sur la terrasse en allongeant le cou pour capter les derniers rayons, pas encore assez chauds pour les bras nus mais bien assez pour une première crème molle à La Frizette du coin.

Mai de promesses, printemps de tous les possibles, des amours fols, des amours naissants ou renaissants. Mai qui voit s’éveiller les corps, frétiller les regards devant les jupettes qui flirtent avec le vent. Mai où l’amour nous saute dessus, au détour d’une vitrine, doux imprimés fleuris et étoffes colorées et aériennes, enfin.

Mai. C’est, bien sûr, l’anniversaire de toutes les mamans, aussi celui de mon homme, de mes belles-soeurs, de Joselita, de Lydia, d’Isabelle…Et le mien. M’amenant doucement vers la quarantaine, cet anniversaire printanier qui ne saute jamais une année me gâte de sa période. Je suis une vraie fille du printemps. Coquette qui aime les écharpes douces parant le cou, jardinière toujours plus habile, briguant les trucs à gauche et à droite.

Bien qu’un brin convenus, tous les mots associés à ce mai de ma venue me réjouissent et m’apaisent, évoquent chez moi les plus doux souvenirs: renouveau, renaissance, flirt, chaleur, éveil, soleil, douceur… Printemps guérisseur, apaisant, poétique, plein de promesses… Et si, comme le dit Félix Leclerc, le printemps les tient, ses promesses, imaginez le bel été qu’on aura!

Ce texte a été publié dans le numéro du magazine Coup de Pouce de mai 2013.

Fait d’hiver

Février vous fait frissonner? Vous trouvez qu’il fait frisquet? Le courant d’air derrière l’oreille vous fait le lobe rougeaud et le cou verglacé? Peut-être êtes-vous plutôt du genre frigorifiée, la dent claquante et la menotte de trois couleurs (bleu-blanc-rouge), celles du drapeau de l’Engelure?

Habillez-vous, que diable! Non mais, ça suffit la plainte du frette. Notre nordique province est chaque année gâtée de flocons et autres sous-zéro nous «freezant» la bouche. Il fait froid dans notre pays, habillez-vous!

Oui, je sais, toutes les excuses sont bonnes pour ne pas se couvrir ni se chausser correctement. Quand ce n’est pas le brushing, c’est le bas du pantalon qui se trouve froissé, quand ce n’est pas le look astronaute du manteau, c’est la loi anti-fourrure qui prime. On les a toutes entendues: «Le pompon n’est pas tendance cette année… Le duvet n’est pas dans ma palette… J’ai une intolérance à la laine de mes mitaines…» N’importe quoi.

Des coiffes, il y en a pour toutes les têtes. Pour la coquette qui soigne sa bouclette comme pour la tondue. Idem pour les bottes pour votre pied mariton, Madeleine. Des doudounes légères comme une crème fouettée à l’érable, ne me dites pas que c’est humainement possible de résister à ça! Et que dire des collants? De laine torsadée de toutes les couleurs, je pousse parfois l’audace jusqu’à en porter sous mes jeans les jours de très grand froid. La Sorel montante avec son col de poil a la cote dans mon vestibule. Exit les pieds mouillés de les avoir fourrés dans une flaque de soupe grise en bottes pas doublées.

Qu’on se comprenne bien. Je ne dis pas que c’est toujours jojo, l’hiver. Ce que je dis, c’est que si le froid est votre ennemi, réagissez! Je n’ai aucune pitié pour vous, frigorifiés badauds qui attendez l’autobus telles des sardines debout dans le congélateur; tête nue, espadrilles, foulard même pas noué, parure de cou ainsi inutile. Les deux pieds plantés dans le sorbet gris salé au calcium, le nez enfoui dans le col de votre manteau de cuir doublé en peau de rien, je me ris un peu de vous qui refusez d’admettre l’immuable. Et vous aurez beau me donner de la raison coquette par-ci ou du «pas de budget» par-là, il y a moyen de s’habiller chaudement sans se ruiner. En plus de ça, en un hiver, votre investissement est rentabilisé! C’est-ti pas beau, ça?

Chaussez-vous chaudement, couvrez-vous et vous verrez, l’hiver vous les gèlera moins. Tiens tiens, voilà un excellent exercice de diction… Coquette en hiver? C’est hautement possible, ma chère! Comme mon oncle Paul, vous aurez envie d’entonner en choeur:

Ah dis-moi donc comme t’as un beau casque,
j’aimerais ben ça l’avoir!
Y’est garni en poil de vache,
y doit être chaud pour l’hiver!

Scusez-là. Pis envoyez dehors!

Texte publié dans le Coup de Pouce de février 2013

Avec le temps

Femme comblée, rien de bien majeur ne manque à mon bonheur. Pourtant, un trésor convoité n’a pas trouvé son chemin jusque sous mon sapin dans un écrin doré. Respire, chéri, je ne parle pas ici d’une bague, mais bien de temps.

J’ai pourtant été bien sage toute l’année! J’ai brossé mes dents trois fois par jour, mangé sans viande les lundis, dormi mes huit heures – euh non, là j’ai lamentablement échoué, je l’avoue -, brassé mon blanc séparé du coloré… Et pourtant, pas davantage de temps à mon horaire à l’horizon pour 2013.

Il me semble que c’est ce qu’il me manque toujours plus chaque jour. Du temps. Tic-tac, tic-tac. Ne serait-ce que pour le voir passer. Tic. Ne serait-ce que pour m’arrêter et le regarder courir son marathon incessant. Tac. Pour le sentir s’esquiver entre mes doigts qui tentent tant bien que mal de taper plus vite au clavier pour tout régler dans la minute; les comptes, les rendez-vous, les échéanciers. Du temps. Tic tac. L’entendez-vous filer? C’est à vous rendre fou.

Au cégep, ma coloc et merveilleuse amie Josée manquait d’air à l’écoute de l’aiguille qui faisait sonner son passage sur l’horloge de la cuisine. Elle disait que de littéralement «entendre le temps passer» lui donnait une frousse terrible. Une seconde de moins à la vie à chaque tic, une autre à chaque tac. Une de plus en moins. De quoi vous paralyser, vous couper toute motivation d’agir.

À l’ère du numérique, il ne passe pas moins vite, ce temps. Seulement, la coulée de sable est plus silencieuse. D’où l’importance de tout faire pour le ralentir ou, du moins, pour rendre la fuite moins dommageable. Je veux bien, mais on fait comment?

On marche plus lentement pour profiter de ce qui s’offre à nos yeux? Ou, au contraire, on se met à la course à pied pour allier exercice et réflexion? On s’organise mieux? On prévoit plus de pauses? Heureux les fumeurs parce qu’ils s’imposent un moment pour le voir passer, ce temps, et prennent l’air en plus? Mais ils diminuent leur vie de combien? Onze minutes par cigarette, je crois.

Vous voyez, il n’y a pas de réelle solution à la fuite du temps. Aucune prise sur lui qui vit sa vie, qui fuit sans demander son reste. Le temps est devenu plus qu’un luxe. Il est une espèce en voie de disparition, une arme de raréfaction massive. En vend-on sur le Web? Pourrait-on me livrer du temps à mon domicile s’il vous plaît, trop occupée que je suis à vouloir en sauver?

Comme avec les montres molles de Dali, certaines journées, le temps semble couler sans que j’aie de véritable prise sur lui. Les petits vêtements qui ne font plus s’empilent. Les poils blancs dans la barbe de chéri menacent de prendre le dessus sur les roux. Les prouesses de l’aîné me font dire: «Déjà?» Celles du petit: «Pas si vite!» Les pages du calendrier s’arrachent, les listes de choses à faire s’accumulent. Étourdissant temps. Qui manque, qui file, qui passe. La seule chose un peu chouette de ce temps qui avance, c’est qu’il me fait me rapprocher de la sagesse… Et encore!

Catherine Trudeau 

Voici mes résolutions, farfelues ou sérieuses, mais ma foi, réelles:

  • Retomber amoureuse du lundi matin et son avalanche de corvées.
  • Retrouver la signification de l’expression «du temps pour moi».
  • Écrire une lettre manuscrite par mois à une personne qui m’est chère (résolution non tenue de l’an dernier).

 

Texte publié dans le magazine Coup de Pouce de janvier 2013

Noël, j’en mange!

 

Déjà ce temps de l’année où on court, on cherche, on s’essouffle, on se ruine! Les fêtes, période de guirlande de courses folles et de cernes bien maquillés. Moment où les kilomètres parcourus pour visiter les familles dispersées sont aussi nombreux que les hors-d’oeuvre avalés. Débordée par les fêtes? Pour moi, elles débordent, mais d’abondance et de partage.

Sans pour autant perdre la boule, je participe à la folie décoratrice. Un sapin, naturel s’il vous plaît, héritage de mon enfance, embaume la demeure. J’aime ce moment où chéri revient du sous-sol, les cheveux empoussiérés d’être allé quérir, dans je ne sais quel recoin, les multiples boîtes de décos, cartes, papiers dorés, boules et souvenirs. Retrouvailles rassurantes. Une épinette trône aussi sur la terrasse extérieure, allumée de mille feux. Merci à mon papa, l’homme qui plante des arbres… et qui en coupe parfois, pour cette inestimable livraison.

Aquarelliste en herbe, j’envoie des cartes peintes de mes blanches mains aux amis et gens côtoyés durant l’année. Des voeux par la poste, c’est rare de nos jours, mais la rareté crée la valeur, à ce qu’on dit. Bien sûr, il faut y mettre le temps. Mais au son de A Charlie Brown Christmas, de Vince Guaraldi, mon album de Noël fétiche, ce temps passé devient une pause bénie, un arrêt créateur qui réconforte comme un bon thé chaud au retour d’une marche sous les flocons.

Pas d’avalanche de cadeaux chez nous. Notre grosse dépense, elle se mange! Je pellette chaque jour ou presque mon chemin jusqu’à l’épicerie pour trouver l’ingrédient essentiel à la réussite d’une recette. Le comptoir déborde de pastilles de chocolat blanc et de fruits confits. Les tablettes du frigo croulent sous les berlingots de crème. Et que dire de ces moments précieux où ma mère m’apprend à cuisiner les classiques de mon enfance: beignes, ragoût de boulettes, tourtières… Saveurs reconnues entre toutes.

Avec les années, j’ai développé mon best of culinaire à moi. Zestes de pamplemousse confits, truffes au thé vert et marmelade d’oranges et canneberges (mon succès de l’an dernier!) sont mes valeurs sûres. Celles que j’offre aux voisins et aux hôtes. Je ressens autant, sinon plus, de bonheur à les préparer qu’à les offrir. Pour moi, les cadeaux gourmands faits maison sont les plus précieux des présents.

L’an dernier, j’ai évité le burnout en allant à un seul endroit pour mes cadeaux: la librairie. On y trouve des livres précieux: déco, photo, cuisine; des livres magiques: poésie, bd, contes; des livres envoûtants: bios, recueils de nouvelles, romans noirs. Une seule visite, et tout est dans le sac! Et que dire de l’emballage: un vrai jeu d’enfant.

Je vous le souhaite tendre et sucré, ce Noël. Avec des pauses pour profiter de tout. Des pauses pour savourer beaucoup, des pauses pour regarder les enfants s’emballer devant les gourmandises préparées avec amour. Débordée par les fêtes? Respirez un bon coup, préparez-vous un thé… et demain, courez à la librairie!

Texte publié dans le magazine Coup de pouce de décembre 2012

Je, me, moi, Vous!

 

Je suis confortablement assise devant mon portable, fidèle compagnon de mes activités procrastinatrices, quand un signal sonore m’interpelle et me sort de mes songes («Que diable vais-je préparer pour le souper?»). On m’offre d’écrire une rubrique d’humeur pour le Coup de pouce nouveau, revampé et repulpé avec extrait pur de wow!

Soudain, un doute s’insinue dans mon esprit: pourquoi moi? Mais parce que je vous ressemble, chères lectrices, me dis-je, aussitôt rassurée. En y songeant bien, je ne suis pas très différente de vous. Au quotidien, ma réalité, en apparence glam, est tout sauf clinquante.

Pas de tapis rouge à l’entrée de ma demeure. Dans le vestibule, spacieux comme le coffre à gants d’une Fiat 500, se côtoient tongs bon marché, escarpins vernis et bottes de pluie. Sans oublier ces espadrilles aux couleurs tendance achetées une de ces journées où je me suis dit: «C’est assez! Je me mets à la course à pied!» Ou était-ce au zumba? Ou au spinning? Peu importe, la semelle est neuve, propre et rose comme une gomme jamais mâchée. Vous avez les mêmes? Vous voyez, déjà un point en commun.

Manquer d’inspiration pour le repas du mercredi soir, ça n’arrive qu’aux autres? Que nenni, ma mie! C’est mon lot hebdomadaire. Constamment en quête de l’inaccessible étoile de l’équilibre, je suis une coquette qui a troqué la pochette des soirs de première pour un cabas de cuir pouvant loger couches et pâte à modeler. Amoureuse infidèle, je passe quelques belles soirées en tête-à-tête avec Don Draper, de Mad Men, sur dvd. Ma tenue décontractée le séduit et mon parfum de pop-corn aussi.

Jongleuse d’horaires irréguliers, cuisinière intuitive, nouvellement insomniaque, vindicative, paresseuse, adepte du réseau social, je suis parfois un peu drôle, parfois pas du tout. Demandez au môssieur qui m’a coupée avec son Hummer hier à l’entrée du pont…

Les priorités bousculées par la maternité, la chevelure fraîchement méchée (je ne suis pas une vraie blonde, vous voilà peut-être déçue), j’ai la bonne volonté vacillante et suis une championne de la conciliation travail-fatigue-famille. Je veux manger sain et beurré à fois, sans prendre une once mais en doublant le plaisir…

Atteinte d’une forme répandue de superwomanite aiguë qui ne se traite qu’avec des visites fréquentes au spa – et si la tendance de mon agenda familial se maintient, je ne verrai pourtant le bain scandinave qu’en 2017. En attendant, je fais quoi? Comme vous, amies lectrices, mon gros possible.

Je suis une Jinny qui aimerait bien retourner quelques jours dans sa bouteille pour y refaire le plein de sommeil. Une sorcière bien-aimée qui n’a pas tous les pouvoirs mais qui essaie très, très fort…

Je partagerai ici mes humeurs, oui, mais aussi mes réflexions sur la vie, mes états d’âme, quelques coups de gueule et beaucoup d’inspire-expire. Sorte d’espace dédié à la «ventilation» et autres besoins d’air, cette page porte bien son titre.

Faites de l’air, j’arrive!

 

Texte publié dans le numéro de novembre 2012 du magazine Coup de Pouce.

Lettre à mon enfant

Texte paru dans la publication Lettre à mon enfant aux Éditions de Mortagne en 2012.
Adressée à Élie Belzile, 2 ans et demi.

 

Cher beau coeur, petit « garçonni » d’amour…

Par où commencer. Il y a tant et tant de choses que j’aurais à te dire.

Ce matin les mots se bousculent à la sortie. Je dois te ressembler quand tu veux tout dire en même temps, quand les mots cherchent à se tailler une place à la queue leu leu et finissent enfin par se laisser entendre, par ta petite voix si singulière.

Tant de choses à te dire… D’abord que je suis fière de ce que tu es déjà; un petit bonhomme curieux, qui s’émerveille de tout (n’est-ce pas, après tout, la tâche première d’un enfant ?) Expressif comme sa maman et méthodique comme son papa.

Tant de choses aussi à ne pas te dire. Pour ne pas que tu sois noyé d’éloges, pour ne pas te « gâter pourri », pour éviter que tu te croies meilleur que les autres, plus fin, plus beau…quoique !

Je ne te dirai pas que mon orgueil de mère est assouvi quand tu dis bonjour aux étrangers que tu croises sur la rue, les petites fesses bien calées dans ta brouette, la bouche pleine d’une collation croquante qui te laissera les mains collantes et les bisous, sucrés. J’aurais peur que tu ne les salues plus, par peur de l’inconnu.

Je ne te dirai pas que mon cœur de mère se gonfle de fierté quand tu dis spontanément : « merci pour le souper ! » quand nous sommes reçus chez des amis. J’aurais peur que la gêne de paraître faussement flatteur te freine.

Je ne te dirai pas que ça me réjouit de te voir rire aux éclats et trépigner d’excitation quand nous jouons avec les cloportes découverts sous les pots de grès dans la cour. Tu pourrais à l’avenir réprimer ce bonheur simple et le garder pour toi, de peur d’être jugé pour sa simplicité.

Je ne te dirai pas que les larmes me viennent souvent aux yeux quand je te regarde dormir. La respiration profonde, le visage totalement détendu, les cheveux humides collés au front. Je ne te confierai pas une telle émotion, de peur que tu cesses de t’abandonner de la sorte devant moi.

Il y a tant de choses encore que je ne dois pas te dire il me semble…

Je parle de toi au présent mais l’avenir s’approche chaque jour toujours plus, avec ses grosses bottes « de 7 lieues » comme dit si bien ton papa d’amour!

Cet avenir qui fera de toi un garçon toujours plus grand, toujours plus bavard, plus curieux, plus autonome, plus allumé.

Cet avenir qui fera sans doute que tu t’éloigneras de moi. De façon toute naturelle, sournoise, sans désir conscient de me blesser bien sûr.

Tant de choses que je dois taire mais en voici quelques unes que j’aimerais te dire.

Quoi que tu fasses, je ne tiens pas que tu sois le meilleur dans tout. Simplement que tu sois fier de ton accomplissement À TOI.

Que tu sois en accord avec ce en quoi tu crois. Même si ces croyances ébranlent les miennes.

Que tu aies la force de réussir où moi j’échoue trop souvent; soit me faire respecter dans les moments où ça compte vraiment.

Un jour sans doute, tu réaliseras que ta maman n’est pas la meilleure, pas la plus forte, qu’elle n’est pas une super héroïne. J’espère que ça ne te décevra pas trop. Ce jour-là, tu saisiras que ta maman tente de faire de son mieux. Qu’elle essaye de se laisser guider par son cœur et oui, fait des erreurs.

Fais de ton mieux, fais des erreurs toi aussi, trompe-toi et reprends la route, c’est encore la meilleure façon de faire son chemin.

Mon petit garçon, j’espère ne jamais voir le jour où tu n’auras plus besoin de moi.

Parce que je ne sais plus à quoi je servirais.

Allez, retourne jouer. Je t’en ai déjà trop dit…

Je t’aime

 

Ta Petite Maman d’amour