Sans raison apparente, mon fiston Élie a choisi l’Arabie Saoudite comme pays pour son exposé de fin d’année à l’école. Une présentation à faire devant camarades et fratrie, de même que devant les parents qui se déplaceront en classe.
L’Arabie saoudite, la belle affaire. Déjà le drapeau du pays n’est pas une mince affaire à reproduire.
J’y connais rien. Sauf quelques idées reçues ici et là.
Il s’attèle à la tâche seul, avec l’aide de Google et de la fiche de renseignements à réunir remise par son enseignante. Mais pour la suite, j’essaie de trouver l’effet wow qui dépassera les statistiques rassemblées pour donner un peu d’éclat à son exposé.
En me rendant faire des courses, je croise le chemin Chambly et suis surprise d’y voir une quantité de piétons en liesse à quelques mètres de chez moi. Ce qui est plutôt rare depuis les casseroles de 19h, il y a de ça déjà longtemps.
Des passantes voilées de riches tissus, des enfants vêtus de soyeuses robes longues et colorées, les hommes en habits chatoyants, babouches. C ’est la fête au Centre communautaire musulman. La fin du Ramadan, peut-être.
Je m’y connais si peu.
Toujours en quête d’idées pour bonifier l’exposé de mon fiston; recette traditionnelle? Objet de culte? Photos? Costume? J’ai choisi de cuisiner une brioche saoudienne pour lui et ses copains. Essentiellement des petites boules de pâte farcies au fromage blanc rassemblées pour en faire une brioche. Easy. Idée pigée sur le web. Ce qu’on ferait pas.à Il me manque de la nigelle pour faire beau. Sinon je prendrai du sésame noir mais tsé, si je pouvais trouver de la nigelle…
Ce qu’on ferait pas.
Mes pas et ma curiosité de connaître la raison de la fête du matin me mène chez un boucher halal voisin du centre communautaire. Je passe devant quotidiennement, n’y suis jamais entrée.
Minuscule local regorgeant de produits halal et moyen orientaux; Olives, pâte de dattes, miel, épices, jus de clémentines, halva, menthe séchée, pâte à brick…
Je retrouve un peu de l’esprit tunisien de ce voyage fait en 2007 avant le grand tourbillon de la famille.
Je suis timide. Ça ne parle pas ma langue derrière le comptoir. Il y a quelques habitués parmi les clients. Je ne me sens pas dans mon élément.
Je demande s’ils ont de la nigelle (oui!) Gênée de ne prendre que ce petit sachet de grains noirs, je remplis 2 plats d’olives en vrac, chope un sac de menthe séchée au passage et un pot de miel. Pour la dorure de ma brioche.
Une fois à la caisse, je demande au boucher s’il connaît les brioches saoudiennes. Qui sait, peut-être me donnera-t-il un hint dans la région où je pourrai en trouver des toutes faites?
Il ne connaît pas. Même avec photo à l’appui pigée sur Google. Même s’il est allé plusieurs fois en Arabie saoudite, qu’il me dit.
Pas grave. Je vais essayer d’en faire et lui en donnerai des nouvelles. Lui explique que c’est pour l’exposé de classe de mon fils, qu’il a choisi l’Arabie saoudite et tout et tout. Je suis comme mon père, je jase toujours avec tout le monde. Moyenne placoteuse.
En me tendant mon sac, il me demande si je suis une fan de Pink Floyd.
(…)
J’allume que j’ai choisi ce matin de porter ce t-shirt gris, arborant le prisme et l’arc-en-ciel, que je ne porte jamais. Que j’ai pigé au hasard du tiroir ce matin parmi le reste pas plié, fripé, jamais porté en me disant que c’était sa dernière chance de faire une seconde impression. Qu’un t-shirt porté juste une fois par année, tu le donnes.
Et on a jasé de Pink Floyd, comme ça, entre les olives et les côtelettes halal.
De ce voyage Algérie-France qu’il a fait pour racheter un album du groupe qu’il avait prêté sans qu’on lui ramène.
De la naissance du projet The Wall. Que l’idée avait germé ici à Montréal, il y a 25 ans au Stade Olympique, ce qu’il ignorait.
Du fait qu’il n’avait plus la même passion pour la musique depuis la famille.
Ses yeux qui brillent d’un autre éclat.
Non pas de regret mais le souvenir heureux d’un temps passé.
Jase pis jase.
Je veux le laisser à sa clientèle mais ma curiosité est trop forte, je demande ce qu’ils fêtaient ce matin. Ses yeux s’illuminent encore plus et son sourire s’élargit et sa voix grimpe d’un ton joyeux.
C’était bien la fin du Ramadan.
« Fini! C’est la liberté! On a bu du café! On a fêté! »
Je le félicite et lui souhaite que se poursuivent les célébrations. Je pose à chaque salutation un petit pas vers la sortie, comme pour la préparer sans le brusquer. Lui qui est si gentil.
En plantant ses yeux foncés dans les miens, il me retient en me disant : je vais te donner quelque chose qui vient de l’Arabie saoudite.
Et il est allé chercher sur une tablette derrière le comptoir, un petit sac transparent avec enfouis au fond, des objets rapportés de son dernier pèlerinage à la grande Mosquée de Riyad, la capitale de l’Arabie Saoudite -je l’ai appris grâce à l’exposé de mon fils.
Un voyage annuel permis aux nantis seulement car ça coûte très cher, qu’il me dit, le boucher.
De ce sac fripé, il sort des petits bâtons de bois à mâchouiller qui font office de cure dents ou de brosse à dents -le siwak. Et un collier de billes de bois pour faire la prière, sorte de mala indien ou de chapelet catholique -le misbaha.
En pendant qu’il m’explique le comment du pourquoi, que je note dans mon iphone le nom de ces trésors pour restituer avec exactitude ces infos à mon petit élève, mes yeux s’embuent, ma tête part ailleurs. Et s’accumulent et se bousculent les pensées furtives : ce chaud vendredi de juin, mes jambes blanches qui sortent pour une des premières fois de l’été, cet homme algérien que je ne connais pas, mon t-shirt de Pink Floyd, mes premiers pas dans ce commerce où je me sens comme une inconnue mais une invitée bienvenue tout à la fois. Ce lien créé par la musique. Ces présents, cette gentillesse, cette incroyable coïncidence.
« Il n’y a pas de hasards, il n’y a que des rendez-vous » a dit Éluard.
« Je vous le rapporterai. Le collier. Je vous le rapporterai après l’exposé » que je m’entends dire.
« Non c’est cadeau. Il était pour toi, ça devait arriver »
« Et c’est ma première visite ici en plus! »
« Alors bienvenue! »
« Comment on dit déjà? Choukran? »
« Juste, merci. »
Et ce sourire.
********
Boualem, j’ignore si c’est ainsi que s’écrit ton prénom.
Je me permets de te tutuyer.
Les olives étaient parmi les meilleures que j’ai mangées.
Je redonne vie à la menthe séchée en y ajoutant de l’eau frémissante, sans oublier un trait de miel.
Les brioches furent une réussite.
Boualem, à ta santé.
J’aime à penser qu’un contact s’est créé, qu’est tombée la barrière du « vous ».
Y a pas de hasard, comme tu me l’as dit.
Et mon Élie, ce fils de Dieu qui n’a de religieux que l’origine de son prénom, aura entre les mains ces objets sacrés pour son exposé. Et le connaissant, petit gardien de trésors, il les conservera comme des objets très précieux.
En revenant à la maison avec mon petit bonheur en bois et les larmes séchées sur mes joues de fille fatiguée; de cette sorte de fatigue qui sort en fin d’année, en fin de saison, en lendemain de party, j’ai entendu de chez moi la cloche de la fin de la récré de l’école qui est à 2 pas.
Imaginé aussitôt mon Élie qui entre en classe parmi les siens, le cou déjà bronzé, les lacets un peu lâches. Les yeux fatigués de cette grosse et belle année où les défis se sont succédé pour lui.
Sois un citoyen du monde mon fils.
Prend des chances,
Des détours.
Jase avec tout le monde. Pis jase.
Fais teinter les cloches de la porte de lieux où tu ne crois pas que tu trouveras.
Des fois que tu trouverais…
Fais confiance. Sois curieux des autres.
Entre là où tu te crois un étranger alors que tu ne l’es pas puisque tu as un cœur.
(S’il suffisait d’avoir un cœur)
Laisse ton esprit ouvert et la bonté arrivera jusqu’à toi.
Les rencontres seront possibles.
Elles sont permises à quiconque leur laisse une place.
Comme l’inspiration qui revient quand on laisse la porte du four ouverte pour que s’échappe la chaleur sucrée de la boulange.
Ou qu’on porte un t-shirt de Pink Floyd.
Texte écrit en juin, publié en juillet (c’est les vacances)
Fantastique ma belle Catherine! Beau texte, merci!
Carole de Longueuil (une « fan » discrète…)
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Merci Carole!
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Je suis une nouvelle abonnée. Quelle belle prose! J’aimais la comédienne, j’adore la maman qui s’implique dans les activités scolaires de son enfant (je l’ai tant fait avec les miens). Merci pour ce beau texte.
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Merveilleuse mère tu es ! Ta plume brode une dentelle colorée et amusante vers un monde inconnu que tu nous fais découvrir à cause de la curiosité de ton Élie. Et le monde devient soudain meilleur et ouvert sur les autres dans une classe d’une école à Longueuil, puis ça se jase dans les familles et dans le quartier et ,,,,, Grâce à un petit Élie et à sa mère qui est allée acheter de la nigelle chez Boualem ! Merveilleuse mère tu es ! XX
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Oh Tantine, quel beau mot. Tu me touches beaucoup. Merci de prendre le temps, de lire et réagir si gentiment. xxxx
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