Note: j’ai écris ce texte en août 2016 à la suite du concert ultime des Hip. En cette journée funeste du 18 octobre 2017 où on apprend le décès de son leader charismatique, je le rediffuse. Entre 2 tounes jouées dans le piton. Entre 2 renifles d’ugly cry dans mon auto. Merci à Terri DiMonte de CHOM fm d’avoir si gracieusement accompagné les fans de Gord Downie en deuil ce matin. Nous sommes plusieurs à avoir beaucoup de peine.
J’écris déjà ce texte. Comme pour contrer la mort. Ou pour célébrer des moments trop rares, soit ceux d’une communion de coeurs.
Je n’attendrai pas l’annonce du dernier battement de celui de Gord Downie, ce prince fou qui grogne sa rage dans ses chansons, pour le publier.
Ce samedi soir du 20 août, il y a eu une communion lors de la diffusion de l’ultime concert du groupe canadien The Tragically Hip à Kingston, Ontario. Ultime de son chanteur en tous cas. Atteint d’un cancer incurable au cerveau qu’il est. En phase terminale qu’il est, ce cancer.
Des millions de canadiens, et des fans de partout ailleurs, se sont réunis pour assister à cette grande messe d’adieu du groupe rock. Même notre prime minister. Certains brandissant le poing dans la salle bondée, d’autres devant des écrans géants à l’extérieur, suintant dans l’humidité caniculaire d’août. D’autres encore, enfouis sous une doudou dans le confort de leur samedi soir. J’en étais.
Gord Downie c’est mon Prince, c’est mon Bowie à moi.
Avec son costume métallique qui miroite sous les projecteurs, son t-shirt blanc trempé de sueur, son couvre-chef de feutre enjolivé de plumes de paon qui masque sans doute la cicatrice sur sa tempe, il a offert un ultime tour de piste à ses fans. Comme porté par une force surhumaine. Gord Downie et sa voix unique, hésitante et franche à la fois, si caractéristique. Cette énergie de corps brute.
Les Hip, c’est mon frère qui me les a fait découvrir. C’est avec lui que je les ai vus pour la première fois, au Forum. Que j’ai vu évoluer cette belle bébitte qu’est Gord Downie, sautillant pieds nus sur la scène, grimpé sur les boîtes de son, le visage crispé par l’intensité que lui inspire les paroles. Comme dansant au dessus de tout.
Road Apples paraît, j’ai 16 ans. Je suis aussitôt portée par cette voix qui grince, qui chevrote. Ces histoires obscures, comme venues d’un autre temps, aux références riches. Un chanteur qui se rapporte à Shakespeare, ça me parle. Portée par chaque album, je les les ai attendus et célébrés, les ai dansés et chantés. Ai arboré t-shirts, troqué les cassettes pour les cd. J’ai lâché les Hip en cours de route, la vie faisant son oeuvre mais n’ai jamais renié mon attachement pour ce groupe et son leader si caractéristique. Les paroles apprises par coeur à coups d’écoute en boucle reprenant leur place dès que j’entendais un hit à nouveau.
Dans mon salon ce soir, j’ai redansé mon cégep, revécu de folles soirées sans lendemain. Ai battu la mesure du menton, me retrouvant soudain dans une zone connue, oubliée mais pas tout à fait. Une zone sans obligations. Du moins sans aucune autre que de danser, avoir du fun, me laisser remplir par ce feeling de la musique. Une zone lointaine mais proche en même temps. Dans laquelle je ne retournerais pas nécessairement mais que j’ai accueillie à nouveau avec force émotions ce soir. Comme un ami d’avant qu’on a perdu de vue mais qui a toujours gardé cette place au chaud.
Une zone de tape cassette dans mon radio rouge. Une zone où j’aurais eu beau jaser avec LE plus beau gars dans le bar, si New orleans is sinkin’ était lancée par le dj, il m’aurait vu détaler vers la piste de danse. Une zone dans laquelle je ne saisis pas tout des paroles mais où je me laisse happer volontiers par le rythme, par l’atmosphère des refrains. Par le pouvoir de la voix singulière de cet homme, par les riffs de guitare, les accords de choeurs qui me transportent. Ce rock lourd et obscur. Ces histoires tortueuses et denses qui ne font pas platement rimer amour avec toujours.
De retour en 2016, quelques 25 années plus tard, seule sur mon divan, j’ai senti chez tout un chacun qui commentait le show sur mes réseaux, cet attachement.
J’ai senti la communion. Ces gens qui dirigent leur énergie, leurs souvenirs, leur « chanter fort à l’unisson » vers le même bullseye. Pour que des millions de fléchettes se rendent dans le coeur de la bête pour l’achever. Pour que cesse la douleur. Pour que la maladie meure mais pas le porteur.
Nous étions des millions. À recevoir une décharge tragiquement Hip. À vouloir la rendre à celui qui allume le feu, à celui qui nourrit le brasier de ces élans investis.
Les paroles de chaque succès retrouvant une nouvelle signification dans la bouche de Downie. Son visage déformé par l’effort. Une sorte de lenteur qui le porte, comme s’il évoluait dans un nuage de brouillard. Ses yeux s’égarant parfois vers des écrans qui devaient lui offrir tous ces mots des 30 chansons qu’il a interprétées ce soir-là. Sa mémoire comme un bateau à la dérive.
Nous étions tous ensemble. Fans (ou pas) de ce groupe canadien. Galvanisés et désireux de soutenir et faire entendre à son chanteur qu’on l’aime, qu’on le supporte, qu’on veut le garder un max dans cette vie. Et quoi encore? Juste merci, I guess.
Puis tout s’est embrouillé, tout s’est mêlé. À la fin de Grace Too, cet homme qui ne se cache pas. Qui crie de rage, qui exulte la peine, la douleur, l’injustice certainement. Sorte de catharsis. Les souvenirs se sont mélangés au moment présent. Les peines d’avant, les miennes, se sont nouées étroitement à celles, actuelles, de cet homme que je ne connais pourtant pas. J’avais de la peine de réaliser qu’il était condamné et j’avais de la peine aussi de réaliser que ces moments vécus autrefois ne reviendraient jamais. Que je ne pourrais plus jamais retrouver cette place de mes 16 ans ramenée à mes souvenirs.
Que cette zone tant aimée qui a filé comme elle est venue, ne reviendrait plus. Comme si je perdais la prise sur mon passé en le voyant se démener sur scène. Lui, au futur plus qu’imparfait.
Nos peines, comme soeurs. Se nourrissant à des sources différentes mais coulant sur des joues jumelles.
Des sanglots communs, comme une peine partagée. Encore la musique comme liant. Encore l’art comme ciment.
Cet homme, décharné, fragile, qui mesure chaque geste en criant; « Let me out »! Qui lutte toujours. Qui craque entre deux hurlements, sans pudeur. Une émotion pure, brute, non feinte. Teintée du ressentiment des adieux, doublée du fait qu’ils se font beaucoup trop tôt. Y a pas d’âge pour mourir c’est sûr. Mais y a toujours ben un boutte. Cancer de marde.
« We get to feel small from high up above » a-t-il chanté.
Que fait un chanteur qui ne chante plus? Comment un chanteur peut-il venir à bout d’un concert qu’il sait être le dernier?
On était des millions à ne pas vouloir que ça finisse. À ne pas vouloir que les projecteurs s’éteignent, que les guitares se taisent, que les pantalons en miroir disparaissent dernière les épais rideaux de velour noir.
Je me demande ce que fait Gord Downie à cette heure. Est-ce que cette énergie le porte ou l’a drainé? Est-ce qu’il a emmagasiné tout cet amour pour apaiser les moments terribles qui sont à venir? Est-ce qu’il réalise de quoi sera faite la suite? Est-ce qu’on peut seulement se faire à l’idée d’une telle finalité..?
Chapeau bas à CBC d’avoir diffusé cet ultime cadeau aux fans du groupe, sans pauses publicitaires et grugeant sur le temps d’antenne des Jeux de Rio pour nous offrir jusqu’à la toute fin les derniers cris de la foule saluant la fin du troisième rappel.
Gord Downie, cet athlète de la scène aura performé jusqu’à la fin.
Inégalable et pour toujours dans mon coeur.
Et moi est mes paupières enflées, s’en sont allées se coucher.
J’ai peine à finir ce texte.
Parce que je voudrais que la vie ne se termine jamais.
Finale tout croche pour petit coeur chiffonné.
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Parmi mes prefs: