Ils inondent les réseaux sociaux de leur existence sublissimement (oui oui c’est un mot) parfaite.
Prises de vue parfaites de leurs oxford parfaits parmi des feuilles parfaitement disposées sur un bitume d’automne parfait. L’automne ET le bitume le sont.
Ils viennent de tous les coins du monde. Parlent toutes les langues.
Déversant sur toutes les plateformes de partage possibles des clichés de leur progéniture blonde aux traits fins et bien alignés. Drapés dans des vêtements griffés en harmonie avec le papier peint de leur salle de jeux qui regorge de jouets en bois pas achetables et de meubles éco-responsables en bois de teck javellisés au crachat d’émeu élevé sans parabènes.
Même leur couches fleurent bon la perfection à ces bambins qu’on dirait faux tellement ils sont égaux et lisses comme des catins de magasin de jouets.
Mères enceintes parfaites, qui se selfisent au lendemain de leur accouchement en arborant les mêmes jeans qu’avant la conception de leur loupiot… parfait.
Mères enceintes parfaites qui en ont 3 autres parfaits à leurs côtés qui ne morvent jamais, ne braillent jamais, ne se tirent jamais la couette devant l’objectif.
Pères parfaits à la barbe taillée, à la chemise pressée, au bord de pantalon savamment plié tombant négligemment sur un bottillon de cuir vieilli juste parfaitement.
Mises en scène de leur existence de vitrine. Je souhaite que leur bonheur soit aussi futile qu’il y paraît.
Je ne les connais pas. Si au moins, ils étaient mes amis.
Si au moins je pouvais partager leurs smoothies, leurs déjeuners où s’alignent habilement des tranches de kiwis pour former une orchidée entre 2 coulis de yaourt maison sans lactose fait à base de chia de mésopotamie ré-hydraté à l’huile de baies de Goji.
Si au moins, j’étais de leurs tablées dominicales où trônent aléatoirement sur des planches de bois de grange,des sculptures florales campagnardes sous des guirlandes de luminaires fait main en papier de riz.
Si au moins, j’avais moi aussi les moyens d’offrir à mes garçons des anniversaires dignes de Pinterest.
Rejailliraient peut-être sur moi, même petitement, des éclaboussures de leurs existences parfaites? Je saurais m’en contenter.
À cause d’eux, un mariage sous les standards de celui de Marilou et Alexandre sera voué à l’échec.
À cause d’eux, tous les repas que je veux partager à mes amis en photo m’oblige à monter sur une chaise pour les prendre en top.
À cause d’eux, si ce n’est pas pris sur un fond blanc ou un fond de bois de grange, c’est laitte.
Je maudis leurs camaïeux de beige, de greige, de gris, de blancs, de bois de grange.
Je déteste leurs tenues assorties de « shiny Sunday in L.A » ou de « fancy night out with de girls in NYC »
Je maudis leurs chambres de bébé sans régurgit.
Je hais leur parfaite tenue printanière pour faire la tournée des puces afin de dénicher LA tasse ultime qu’ils me présenteront plus tard, en top (quelle question) remplie d’un nectar des dieux, flanqué d’une branche d’olivier, d’un biscuit vegan et d’une serviette de table brodée par une arrière grand-mère innu sourde.
Je hais leurs maisons toutes blanches, leurs décors où la rayure des coussins va chercher la brillance du verre soufflé posé sur la 8e tablette BLANCHE où sont alignés des souvenirs de voyage tous plus exotiques les uns que les autres.
Pourquoi quand j’essaie de faire la même affaire, c’est laid?!?!
J’exècre leur monde sans poussière
Sans vaisselle sale
Sans morviat, sans bordel, sans brassée à plier, sans braillage de leçons, sans cendre devant le foyer, sans tapons de débarbouillettes qui puent parce qu’elles ont séché en tas.
Les parfaits, je les hais.
Profondément.
Viscéralement.
Parfaitement.
Et pourtant, je les suis.
Je continue de faire défiler leurs clichés sur les fils de toutes sortes. D’en grapiller des idées. De souhaiter reproduire un bouquet, un agencement de couleur ou de style.
Je me retiens de les retirer de la liste de ceux que je suis à distance, en voyeuse que je suis.
Parce que j’aime me faire du mal.
Et que j’aime, un peu, rêver.
illustration: Amélie Montplaisir