La fois du bois.

« R’garde ben mon p’tit boutte. R’garde au bout de mon doigt, le vois-tu? Faut pas bouger par exemple, sinon y va se sauver. Oooppps! Y a plongé! As-tu vu?!» Émoi, surprise, yeux ronds comme des 2 piasses.

Automne 2011. Mon père et mon aîné (qui a alors 3 ans) observent les castors qui ont élu domicile sur un des points d’eau des terres du paternel. Une lueur dans mes yeux en les regardant, je trouve fiston chanceux. Des souvenirs de bois, quelle richesse.

Petite fille de pourvoyeur, fille de chasseur, pêcheur et reboiseur notoire, la forêt, je l’ai dans le sang.

Ça sent rien d’autre que je connais. Rien qui se compare à ça. Un mélange de champignons, de compost, de feuilles mortes pis de bourgeons naissants en même temps. Ça sent la mousse, le sapin, les cocottes, savant mélange d’odeurs et de textures. Des histoires de forêt, des souvenirs de bois, de sous-bois, j’en ai autant que de billots dans une cordée de pitounes.

De la gomme d’épinette collée dans les cheveux. La fois où mon père et moi on s’est perdus pis que l’orage nous a surpris. La fois où j’ai vu une ourse dans la trail en cueillant des bleuets.

Pis que j’ai pas eu si peur que ça.

La fois où on a dormi dans un chalet au Jour de L’an, tous les frères et les cousins ensemble, avec une toilette bouchée pis l’obligation d’aller aux toilettes sèches en pleine nuit, à -25. Avec la pleine lune comme témoin. La fois où j’ai planté des arbres avec mon père, pis qu’on a mangé des sandwichs enrichies aux pucerons de salade. La fois où j’ai marché sur un nid de guêpes pis que j’ai demandé à ma cousine de me sacrer des claques pour tuer les bestioles avant qu’elles ne signent mon arrêt de mort. Toutes les fois où enfants, on est allés porter une pièce dans la crevasse de « la roche a’ cenne » en priant fort pour que le vœu énoncé se réalise…

Mes fils sont chanceux. Quel héritage. Je leur dit souvent, et je vois déjà leurs petits yeux rouler quand je leur rabat les oreilles avec ces mots : « y en tu beaucoup de petits amis dans vot’classe qui sont déjà allés dans le bois? Pas sur le bord d’un lac à bateaux moteurs-là! Pas sur un mont faire du ski alpin là! Dans-le-bois! Le vrai! »

Le profond. L’épeurant des fois. Le pas toujours nettoyé, avec des branches qui craquent sous le vent, avec des troncs pourris tombés tout seuls, avec le pic qui nous salue de sa rythmique reconnaissable entre toutes, avec des pistes de chevreuils et d’animaux non identifiés. Ou d’animaux réinventés; toujours ce gag éculé de mon père qu’il a entendu un carcajou la nuit passée…Le bois. Des fois bouetteux, toujours surprenant. Le bois. À la fois rassurant, inquiétant, immense et accessible.

« Y ‘ est où P’pa? »

« Y ‘ est au bois »

Pour mon père, « aller au bois » c’est sa thérapie, son secours, sa survie. Il m’a toujours dit; « J’parle à mes arbres. Si un jour j’vous dit qu’ils m’ont répondu, vous saurez que je suis viré fou! »

De tout cœur, j’espère que mes petits boys deviendront des hommes des bois. Qu’ils auront à leur tour des cordées pleines de « toutes les fois » à raconter aux leurs. Qu’ils s’y sentiront chez eux. Comme chez grand-papa. Et si les arbres leur répondent, avouez que ça serait être atteint d’une belle folie.Lescastors

Texte publié dans le magazine Couvert Boréal du mois d’octobre 2014.

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