Compagne de nos soirées et des matinées des mousses, elle fait partie de la famille. Comment imaginer la vie sans elle, avouez. Toute timide dans ma L’Assomption natale, j’étais loin de me douter qu’elle me ferait gagner ma vie une fois devenue grande. Qu’elle serait celle par qui vous me saluez à l’épicerie, celle par qui vous vous demandez où vous avez vue ma binette et m’attirent parfois d’étonnants commentaires tels « Vous êtes plus belle en vrai! » ou encore « Ça doit être vrai que la télé donne 10 livres, vous êtes toup’tiiiiite! »
Assise dans les marches du sous-sol de la banlieue qui m’a vue grandir, j’étirais la sauce chaque dimanche soir pour regarder les stars de l’improvisation imaginée par feu Robert Gravel s’évertuer à ce jeu impitoyable. Sur l’écran coiffé d’oreilles de lapin, c’était alors Radio-Québec qui diffusait ces performances uniques. Diane Jules, Sylvie Potvin, Chantal Fontaine, Raymond Legault, sa sœur Sylvie, Robert Lepage. J’y ai vu là les plus belles prouesses d’acteurs. La fébrilité des joueurs perçait l’écran de la Zénith en couleurs. L’excitation était palpable. Connaissant alors par cœur l’hymne de la LNI; La feuille d’érable, issue de La Bonne Chanson, la chair de poule me prend encore aujourd’hui à l’écoute de la note finale soutenue. Je priais pour qu’Yvan Ponton, vêtu de son gilet zébré pige une comparée de 5 minutes. Je volerais ainsi à la nuit quelques mille secondes de plus, en comptant le caucus et le vote. Le bonheur.
Assise dans ces marches habillées de tapis marron losangé d’ocre et blanc, toute fascinée devant ce jeu qui m’intriguait et m’attirait comme un aimant, j’étais loin de me douter que je foulerais à mon tour la patinoire quelques 15 ans plus tard. Je n’en fais plus d’impro. Ça me rend malade, peu attirée par l’imprévu sans filet que je suis.
Plus tard, le dos calé dans un sofa vintage avant l’heure, j’ai détesté et aimé à la fois Jean-Paul Belleau. Son interprète allait m’enseigner le jeu des années plus tard. J’allais même partager avec lui les papillons caractéristiques d’un soir de première au théâtre et jouer son amoureuse éperdue sur les planches. Qui m’aurait dit…
La série Avec un grand A de notre Janette nationale, est j’en suis persuadée, la série qui m’a inconsciemment donné le goût du jeu. Qui a semé en moi ce besoin de faire vivre et ressentir. D’être une sorte de courroie de transmission de l’émotion.
Auprès de ma mère, j’ai apprivoisé le parler franc et imagé de Victor-Lévy Beaulieu, faisant connaissance avec l’unique Jean-Louis Millette, le plus grand que nature Gilles Pelletier, admirant un Yves Desgagnés au charme dévastateur et son délectable « ostie toasté des 2 bords ». Aujourd’hui un ami, il m’a confié les plus beaux rôles du théâtre russe et m’a ainsi permis de partager la scène entre autres avec M. Le Ministre lui-même, Michel Dumont et l’inoubliable Fanfreluche, Kim Yaroshevskaya.
L’Héritage. Des dames de cœur. La Bonne aventure. Le temps d’une paix. Le Parc des Braves. Des téléromans de « grand » que j’avais le droit de regarder. Ma mère avait-elle saisi mon intérêt? Ma fascination pour ce médium avant le temps?
Avant de devenir une étoile de plus dans le ciel, ma grand-maman Estelle m’aura vu dans son téléroman préféré, partageant l’écran avec son beau Alain Zouvi! J’entrais dans la télé par la grande porte en jouant dans 4 et demi aux côtés de Rosanna elle-même…
La télé comme un aimant, comme vecteur d’émotions. Je ne croyais pas qu’elle aurait un si grand impact sur moi. Je dis toujours que je n’ai su que bien tard que je voulais faire ce métier, en jetant ce regard rétrospectif, je me demande si elle ne savait pas déjà tout l’effet qu’elle avait sur moi. Ma chère dame, si c’est vrai que la télé donne 10 livres, ça doit être 10 livres d’amour.
Texte publié dans le numéro d’octobre 2013 du magazine Coup de Pouce.